Revue de presse – La grande cuisine de la chasse

Chasses internationales dec janv fev 2026

On vous partage une revue de presse – Chasses internationnales I décembre 2025

ESTHER GHEZZO & MORGAN MALKA FONDATEURS DE RENARDS GOURMETS

Chasses internationales dec janv fev 2026

Cuisiner le gibier, c’est apprivoiser le temps

La Grande Cuisine de la chasse, paru cet automne au Gerfaut, est un ouvrage d’une qualité exceptionnelle à trois égards : le texte
est profondément réfléchi ; les illustrations sont des tableaux photographiques ; l’édition très élégante, en grand format, en fait
un livre d’art. Leurs auteurs, aussi fondateurs du site Renards Gourmets, ont bien voulu répondre à quelques questions essentielles.

Pourquoi êtes-vous passionnés par la gastronomie du gibier et de la chasse ?
Il est selon nous impossible d’aimer la gastronomie française et de ne pas comprendre que la cuisine du gibier en est une composante fondamentale. Non seulement elle est intrinsèquement liée à notre patrimoine culinaire historique, mais elle est aussi aujourd’hui un enjeu culturel et social au coeur de l’évolution de notre société française. À une heure où l’uniformisation des masses est un drame absolu, il est indispensable de serrer les rangs et de saisir l’importance de nos traditions. Nous aimons aussi le lien que cette cuisine implique avec les saisons, les années et l’expression singulière des terroirs. Elle induit d’ailleurs des accords naturels avec ces derniers (les saisons comme les terroirs).

Vous écrivez que « cuisiner le gibier, c’est d’une certaine façon apprivoiser le temps ». Qu’entendez-vous par là ?
C’est un fil tendu entre nous et ceux qui nous ont précédés, mais aussi avec ceux qui nous suivront. Il s’agit d’appréhender le passé pour apprivoiser le présent et envisager l’avenir Nous pensons bien sûr au lien intergénérationnel au sein des familles, mais aussi au lien qui nous inscrit dans une histoire qui n’est pas là pour nous figer, mais pour nous enraciner. Il faut savoir d’où l’on vient pour trouver son chemin. Même s’il peut s’agir de s’en détacher. Sinon, on est comme un poulet sans tête…

Vous portez sur le monde, et plus spécialement sur la gastronomie, un regard esthétique. L’ouvrage que vous venez de publier en est une superbe illustration. Pourquoi avoir choisi ce mode d’expression artistique ?
Parce que la beauté est ce qui nous a été offert en partage. Elle innerve le monde qui nous entoure et la capacité créatrice de l’Homme est remarquable. Nous nous devons de goûter et de protéger la beauté, car elle porte au plus haut notre humanité et notre appartenance au monde naturel. Plus simplement, parce que la beauté, de la plus sobre à la plus sophistiquée, rend heureux, car elle est un émerveillement, une fascination irrésistible qui sublime le quotidien

L’art de la cuisine est indissociable de l’art de la table. La chasse est-elle également pour vous un art de vivre ?
Sans aucun doute et en tout point. Des pratiques les plus singulières aux plus collectives. Tout en elle convoque ce que l’on appelle l’art de vivre. Les tenues, les confréries, les pratiques, les cuisines et les croyances. Mais encore les objets (fusils, sacoches, instruments de musique…) et tout ce qui est immatériel, mais bien palpable. Les techniques de chasse, les rituels entre amis, le lien aux chiens, aux chevaux. Cela peut-être selon une approche très épurée et “rustre”, au plus près d’une certaine simplicité tout comme cela peut-être selon une approche très codifiée et “raffinée”. L’une n’est pas supérieure à l’autre, elles contiennent en leur sein des vérités qui correspondent à des natures humaines et des sociologies différentes.

Les recettes de cuisine paraissent souvent compliquées et demandent du temps, ce dont nous manquons cruellement. N’allez-vous pas à contrepied de notre époque en les proposant ?
Tout au contraire. Nous n’avons jamais eu autant de temps. L’homme des XXe et XXIe siècles se complaît dans l’idée qu’il n’en a pas mais, en réalité, il ne sait souvent pas quoi en faire. Rappelons-nous un peu d’où nous venons, quelle que soit notre classe sociale, et pensons aux vies que menaient nos ancêtres. Peu de libre arbitre, des horaires sans fin, peu ou pas de vacances, pas de retraites, etc. La liberté aujourd’hui, c’est d’embrasser cette chance immense que nous avons d’avoir du temps pour nos loisirs et de trancher dans le vif en décorrélant cela de l’acte compulsif de consommation. Cuisiner c’est vivre. Vivre vraiment. C’est charnel, c’est joyeux, c’est bon. Prendre du temps à se nourrir et en faire un “art”, quel que soit son niveau “technique”, c’est saisir la nuance profonde qui existe entre un acte de subsistance et un acte de joie et de partage.

Votre passion pour les beaux-arts vous a conduit à réfléchir à la portée symbolique des natures mortes et, plus avant, à « l’éphémère passage terrestre de l’homme ». Quels liens établissez-vous entre art, gastronomie et… philosophie ?
La gastronomie nous inscrit dans la civilisation. Il ne s’agit pas de manger, mais d’ennoblir les moments sacrés que nous passons avec nous-mêmes, nos compagnons, nos familles et nos amis. Il s’agit de célébrer l’instinct de vie à travers ce qu’il a de plus beau : la sublimation de l’instant présent. Cela transcende la finitude, cela transcende les prétentions. Cela nous remet à notre juste place au sein du monde.

La France regorge de recettes de gibier, au point de vous avoir incité à dresser un « inventaire archéologique des pâtés de France ». Qu’est-ce que cela nous apprend
de notre propre culture ?

La cuisine française ne cesse de se réinventer depuis le XVIIe siècle au moins. En constante évolution, elle impose ses codes, se nourrit d’influences extérieures ou se recentre sur ses fondamentaux, généralement puisés dans son terroir riche et varié. Néanmoins, s’il existe des ruptures, des principes fondateurs demeurent tels que le goût immodéré pour l’acidité (vin, vinaigre, verjus, citron). Mais aussi l’obsession pour les sauces qui remonte au moins au Moyen-Âge tout comme l’envie de valoriser le fruit unique de sa production (du potager, du verger ou de l’élevage) par la mise en avant de produits finalement peu transformés pour être parfaitement lisibles. Aujourd’hui, ce répertoire gastronomique vieux d’au moins trois siècles est accessible, mais il paraît aussi mystérieux et exotique aux contemporains que n’importe quel plat venu d’ailleurs. Alors, pourquoi ne pas se plonger dans les vieux ouvrages et goûter, un peu, de la saveur ancienne de notre fière nation ?

Il en va de même de la variété des « bouillons, fumets, jus, fonds, sauces » qui forment, écrivez-vous, « les bases de la cuisine classique française ». De quoi s’agit-il exactement ?
En France depuis le XVIIIe siècle, on facilite au dégustateur le moment de table en lui préparant le morceau qu’il va consommer. L’os d’une côtelette est nettoyé, gratté, blanchi afin que l’on puisse s’en saisir sans se tacher. Les petits os, les nerfs sont retirés, la pièce est cuite débarrassée de tout ce qui pourrait nuire à sa présentation et contraindre l’aisance que l’on pourrait avoir à la consommer. Cela étant, elle pourrait manquer de goût, car les sucs les plus abondants et les plus savoureux se trouvent dans les os, la graisse et les muscles jugés moins nobles. Pour combler ce manque, le cuisinier français réalise des sauces à partir de ce qui reste à la discrétion des cuisines et en concentre la saveur pour en tirer la substantifique moelle. La sauce en est la quintessence liquide, digne d’accompagner le morceau parfait. Les sauces, les fumets, les bouillons, les jus et les fonds constituent la symphonie française culinaire que le monde entier nous envie et nous emprunte depuis des siècles. Ils sont la pleine manifestation d’un esprit gastronomique unique qui constitue notre identité.

Vous ne semblez pas opposer la civilisation et la nature, l’homme et l’animal sauvage. Vous y voyez plutôt un écosystème où le chasseur « joue un rôle fondamental ». Pouvez-vous développer ce point de vue ?
L’Homme n’était sans doute pas un animal destiné à rester à son état “primitif”. La civilisation est un développement raisonnable de ses capacités naturelles. En cela, cette “évolution” s’inscrit dans une logique innée, qui appartient à la Nature, dans laquelle il s’inscrit. Son rôle dans le monde “sauvage” est d’y apporter des logiques humaines. La question est sans doute de savoir de quelle façon il choisit de ne pas respecter certaines limites, qui sont parfois morales, à titre personnel comme collectif.

Quelle est pour vous la place de l’homme dans la nature ? L’homme du XXIe siècle naît-il (encore) chasseur ?
La prédation est une composante de la nature humaine. Il suffit d’observer le comportement d’un jeune enfant pour le constater. Plus encore quand il s’agit de l’observer en groupe, de les voir avec des animaux, etc. La société tend à canaliser et masquer ces instincts, mais il apparaît clairement qu’ils s’éveillent tout naturellement dès lors que l’on chasse, que l’on se retrouve en situation de danger, voir de survie, etc. Selon nous, oui, l’homme naît encore chasseur. Mais aujourd’hui, il faut sans doute une situation favorable à l’éveil de cet instinct pour qu’il se manifeste.

Parlez-nous de ce que vous nommez la « liturgie de la chasse ». Pourquoi utilisez-vous ce terme propre au sacré, au religieux ?
Parce que le lieu où elle se déroule l’est, sacré. Comme le dit Baudelaire, « la Nature est un temple ». Mais aussi parce que les mythes, les croyances et les pratiques spirituelles l’innervent. C’est aussi ce qui l’éloigne de la “barbarie” pour en faire une pratique qui se fonde sur une forme de spiritualité partagée au sein de la communauté des chasseurs. Même si cela n’est pas toujours conscient ou formulé. C’est un héritage qui réaffirme la place de chacun, Homme et bête, au sein de l’équilibre du monde.

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